2eme extrait du roman Le sacrifice des damnés ( Le cycle des âmes déchues, tome 2 ) disponible aux éditions du petit caveau :
... Plus que jamais, assis dans la nuit muette, Léonore et Norman reflétaient l'image d'un couple magnifique. Deux âmes liées par un amour fusionnel. La blondeur de la jeune demoiselle prenait tout son éclat à côté de la crinière charbonneuse de son fiancé au visage angélique.
Malgré son immobilité presque parfaite et l'ivoire pétrifié de sa peau, les émotions ne manquaient pas d'assaillir le vampire. Il avait vécu tant de drames et de traumatismes durant ces derniers jours. Le sang dans ses veines s'était vu souillé par un mal séculaire. Lui, un mort-vivant : impensable, et pourtant ! L'homme qu'il fut autrefois n'était plus. Une part de sa conscience subsistait encore dans ce corps aux atours trompeurs. Mais son cœur avait bel et bien cessé de battre dans sa poitrine. Ses poumons n'inspiraient plus d'air et ses yeux… ses yeux discernaient dans l'insondable rideau nocturne une multitude de nuances colorées. Ses cinq sens aiguisés lui faisaient redécouvrir le monde sous un jour nouveau. La seule chose qui n'avait pas changé, c'était Léonore. La jeune femme dans sa robe grenat resplendissait. Même élégance, même beauté distinguée. La même grâce qui l'avait stupéfié lorsque son regard s'était posé sur elle pour la première fois en début d'année. Et à son doigt, brillait toujours la bague qu'il lui avait offerte.
Récemment, il était encore un chasseur de vampires vertueux sur le point de connaître un bonheur lui ayant longtemps échappé. Tout avait basculé si vite... Il se voyait relégué à présent au rang des nosferatus qu'il traquait autrefois. Le pire tenait en une vérité essentielle : il osait toujours chérir Léonore ! Son amour pour la fille d'Edmond de Lacarme était intact. Ce sentiment était mal, il le savait. La voix de sa fiancée, la chaleur de sa peau, le ciel de ses prunelles, son parfum… Tout en elle l'excitait, le subjuguait. Même la peur que la demoiselle nourrissait envers lui depuis sa transformation l'attirait. Il était curieux pour Norman de ressentir un désir aussi vif et primaire à chaque fois que Léonore se méfiait de lui ou éprouvait de la crainte. Un détestable comportement de prédateur, rien de plus. Le vampire avait conscience de cela. Car si constater l'inquiétude nouvelle de Léonore le troublait, elle lui déchirait par la même occasion ce cœur inerte qui ne lui servait plus à rien.
Ignorant sa faiblesse et ses difficultés pour se lever, la jeune femme quitta le banc dans un élégant froufrou de jupons. Enceinte, le sourire éreinté, sa beauté n'en restait pas moins radieuse. Ses boucles blondes virevoltant sur sa nuque comme autant de vagues dorées, Léonore s'approcha doucement du grand cèdre au tronc noueux. Avec respect, la demoiselle caressa dans un geste affectueux son écorce, puis y posa ses paumes et sa joue. À la voir ainsi attentive, on eut dit qu'elle cherchait à percevoir le rythme cardiaque de l'arbre offert sous ses doigts.
Dans la nuit d'automne, encerclée par les ténèbres, la fille du clan Lacarme prenait plaisir à communier une dernière fois avec la nature. Comme si ce geste simple et spirituel, si loin du cadre familier du prieuré de son enfance, pouvait conjurer la tragédie imminente.
Norman, toujours assis, toujours impénétrable, n'avait d'yeux que pour sa fiancée. Pour cette fille sensible et généreuse qui avait su si bien envoûter son âme.
Après plus d'une minute consacrée à s'imprégner du parfum des feuillages charrié par la brise, de l'odeur du bois et de la sève, la jeune femme enceinte effleura du bout des doigts la surface du grand cèdre. Un adieu tacite. Elle se dirigea ensuite lentement, tel un fantôme lunaire aux formes épanouies, jusqu'à une bordure où gueules de loup et pensées se côtoyaient dans une harmonie de pétales colorés. Léonore avait toujours éprouvé une véritable passion pour les fleurs. Les allées florales réaménagées au cœur des jardins du prieuré de Sainte-Rosière étaient son désir. C'est elle qui avait insisté pour que la roseraie et les bordures tombées en désuétude depuis des années soient remises en état.
Avec difficulté, en prenant appui sur la devanture de la maison de Sélène, la jeune fiancée se baissa pour ramasser quelques tiges de gueules de loup offertes à sa convoitise. Une telle simplicité dans sa beauté… Norman était resté jusqu'alors happé par la vision de Léonore. Sa maladresse pour se composer un bouquet le décida à se lever dans un mouvement si rapide qu'un œil humain n'aurait pu saisir chacun de ses gestes.
Une seconde auparavant, le vampire observait sa compagne assise et l'instant suivant, il se tenait tout proche d'elle. Léonore réalisa sa présence par-dessus son épaule lorsqu'elle sentit un frisson nocturne ramper sur sa nuque. Dans les pensées qui affluaient en elle pourtant, pas de crainte ni de méfiance. Seulement le réconfort d'avoir auprès d'elle l'être qu'elle aimait.
— Tu es là, murmura simplement Léonore.
D'un mouvement fluide, sans prononcer un mot futile, les doigts fuselés du vampire cueillirent une poignée de fleurs aux nuances subtiles et à la délicate fragrance. Puis, avec solennité, il offrit son butin floral à Léonore, souriante et émue. Deux êtres hors du temps pouvant se passer de paroles.
C'était l'une de ces accalmies précédant la fureur d'une tempête. Au fur et à mesure que la nuit avançait, un léger tapis de brume prenait forme aux pieds des amoureux. La flamme de la lanterne suspendue sous le porche de la demeure partageait l'éclairage feutré avec une lune opalescente et son cortège d'étoiles scintillantes.
Un cadre propice pour qu'un homme et une femme condamnés vivent leur dernière idylle.
Ni l'un ni l'autre n'osait troubler cette paix insouciante par des aveux superflus. Les ténèbres de la nuit accordaient à Norman un répit dans son tourment vampirique. L'espace d'un regard protecteur, il redevint le tendre amant qui avait vaincu la solitude de Léonore.
Comme s'il manipulait une poupée de cristal fragile, les bras glacials de Norman enveloppèrent la demoiselle pour l'attirer contre lui. Sa protégée en profita pour déposer un baiser chaste sur les lèvres froides si proches de son cou. Dans l'imprudence du moment, elle oubliait la tentation que pouvait engendrer chez un vampire ce geste pourtant si prude et spontané. En lutte contre l'appel de la soif de sang émergeant en lui plus virulent que jamais, Norman, s'immobilisa. Il tenait Léonore avec le plus de douceur possible. Il feignait d'ignorer le tranchant des crocs dans sa bouche, essayait de renier l'attraction du parfum de sa dulcinée sur ses sens affinés à l'extrême.
Il aurait pu se nourrir d'elle, là, sur-le-champ, sans qu'elle puisse lui opposer aucune résistance. Néanmoins, il n'imaginait même pas accomplir pareille horreur.
— Je t'aime, souffla la jeune femme dans une confidence langoureuse, complice.
Alors, cette simple déclaration innocente suffit à faire reprendre au vampire ses esprits et à chasser le prédateur qui rôdait en lui...
.. A suivre dans le 2eme tome du cycle des âmes déchues : Le sacrifice des damnés